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Nourrie par les regards croisés de théoricien·ne·s issu·e·s de différentes disciplines, cette journée d’étude – intitulée « Représentations et devenir de la sphère publique dans le numérique » – se donne pour tâche d’interroger les discours, représentations et productions esthétiques liées à la place de la sphère publique dans le « numérique à venir », en prêtant une attention particulière aux impensés et idéologies qui entourent leur rencontre. L’enjeu réside ainsi dans le fait de penser la sphère publique dans sa matérialité, que les techniques et technologies de communication transforment et travaillent.
Cette journée d’étude fait suite à une première journée de recherche, « Représentations et devenir du sujet dans le “numérique” », tenue le 7 mars 2018 à l’École Supérieure d’Art et Design de Saint-Étienne.
Organisée par
le CIEREC (Université Jean Monnet), en partenariat avec le CyDRe et le Random(Lab) de l'ESAD Saint-Étienne) ainsi qu'alt.516 (association des doctorant·e·s stéphanois·e·s Arts, Lettres, Langues).
Intervenant·e·s
- Allan Deneuville ;
- Nada Ghribi ;
- David-Olivier Lartigaud ;
- David Pucheu ;
- Éric Rabot ;
- Pascal Robert ;
- Bérénice Serra.
Modérateur·ice·s
Lorène Picard et Carole Nosella.
Présentation
La notion de « numérique » s’est imposée ces trente dernières années dans la sphère publique comme le lieu commun permettant d’évoquer à la fois les techniques de communication, le Web et les outils informatiques. Désormais intégrée au champ du design et des productions esthétiques, cette notion reste cependant ambiguë : l’infrastructure opaque des réseaux, l’incommensurabilité du nombre d’informations échangées, mais aussi la multiplicité des agents économiques et des utilisateurs qui la composent et l’administrent rendent l’exercice de représentation du « numérique » complexe. Tout en désignant un ensemble d’objets, le « numérique » contient une part d’imaginaire connue, exploitée, mais aussi tributaire d’un certain impensé.
Cette part d’imaginaire du « numérique », faite de mythes, de fantasmes, de discours, se matérialise et devient sensible dans des représentations gravitant autour des productions techniques qui transforment nos perceptions et notre conception du réel. Elle fonde donc des récits fabriqués, consciemment ou inconsciemment, qui façonnent des partis pris esthétiques, des habitudes et des interactions sociales.
À la lumière de l’économie de marché numérique et de la critique de son idéologie, la notion d’« imaginaire » se révèle aussi comme opérant, sous de multiples formes, un recouvrement de la réalité des rapports réels de production. Pour certain·e·s analystes, elle devient un outil d’aveuglement qui participe à l’idéologie qu’elle construit. Considérée comme une notion floue dépourvue de rhétorique, elle ne semble pas moins donner un prétexte à l’économie numérique pour se soustraire à ses « épreuves de justifications politiques et éthiques » (Robert).
De prime abord, l’imaginaire que suscite l’informatique au milieu du XXe siècle semble peu compatible avec l’idée de sphère publique : le dispositif informatique est à l’époque perçu comme un instrument d’oppression des individus, produit dans un cadre technique bureaucratique isolé et insensible (Turner). Un imaginaire « numérique » compatible avec la sphère publique commence néanmoins à se diffuser lors de l’investissement des États occidentaux dans la recherche cybernétique au cours de la Seconde Guerre Mondiale, et continue de se développer de la Guerre Froide à nos jours. La sphère publique, simultanément processus et espace (Fuchs), constituée de l’ensemble des interactions d’individus réunis autour d’enjeux d’intérêt commun, est utilisée comme caisse de résonance de l’imaginaire « numérique ». Connectant la culture, l’économie et le politique, cette sphère publique, à l’instar de la « société civile » hégélienne, émerge de la simple organisation sociale, lorsque des individus agissent politiquement en commun pour favoriser leur existence dans un milieu, ce dernier se présentant de plus en plus comme infusé par le « numérique ».
L’idée de « système informatique » devient ainsi socialement acceptable dès la fin des années 1940 avec l’émergence de la cybernétique, promue par le mathématicien Norbert Wiener. Cette nouvelle discipline se développe en effet dans un contexte institutionnel singulier, où des chercheurs de cultures différentes travaillent en réseaux par le biais d’outils collaboratifs. La métaphore sociotechnique computationnelle (l’idée que l’humain est en partie une machine, accompagnée d’une vision de l’informatique comme écosystème naturel) et la philosophie technologique qui nourrit la cybernétique préparent le terreau idéologique et autorisent trente ans plus tard l’occupation de la sphère publique par l’économie de la micro-informatique. L’imaginaire glisse ainsi progressivement de l’idée d’une informatique à la solde d’un État militarisé vers celle d’une force sociale à construire par l’informatique en réseau (Turner).
Plus tardivement, dans les années 1970, des pratiques de communication industrielle et artistique hétérogènes modélisent l’informatique comme un outil de libération des individus, simultanément au développement du marché de la micro-informatique. Des utopies nourries par l’idée de sphère publique, concrétisées entre autres par les pratiques du logiciel libre, sont encore revisitées de nos jours, notamment à travers le développement libéral-libertaire du marché des plateformes collaboratives.
Dans les années 2000, le monopole des industriels numérique sur le développement de la sphère publique devient idéologiquement et techniquement stable : le marché de l’innovation informatique se concentre sur le développement d’outils spécifiquement dédiés à l’idée même de sphère publique, les réseaux sociaux. Accessibles « gratuitement » par les utilisateur·ice·s, ils se trouvent économiquement de plus en plus rentables grâce à la monétisation des contenus et des données personnelles produits par ces dernier·e·s. Pourtant, la financiarisation de la sphère publique à travers les réseaux sociaux et leurs dérivés ne semble possible que du fait de l’intervention de fictions idéologiques dans la classe dominante (Tort).
Les effets de transparence de l’imaginaire « numérique » doivent donc être questionnés. Suite à ces considérations socio-historiques, quelle place laisse réellement ce « numérique à venir », qui prend racine dans les stratégies militaroindustrielles, à la sphère publique ? Quel regard portent sur l’interaction de ces deux mondes le design, la communication graphique, mais aussi les oeuvres d’art qui contribuent à construire les imaginaires de cette sphère publique, tout en étant eux-mêmes innervés par les imaginaires industriels ? Nourrie par les regards croisés de théoricien·ne·s issu·e·s de différentes disciplines, cette journée d’étude se donne pour tâche d’interroger les discours, représentations et productions esthétiques liées à la place de la sphère publique dans le « numérique à venir », en prêtant une attention particulière aux impensés et idéologies qui entourent leur rencontre. L’enjeu réside ainsi dans le fait de penser la sphère publique dans sa matérialité (Fuchs), que les techniques et technologies de communication transforment et travaillent.
Liens
- Télécharger le programme en version PDF : « Représentations et devenir de la sphère publique dans le numérique »
- Programme de la première journée : « Représentations et devenir du sujet dans le “numérique” »
Visuel de l'évènement © Lorène Picard
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